« Vers des mers nouvelles
Là-bas — je veux aller ; et désormais
C'est à moi que je me fie, et à ma propre prise.
La mer s'offre ouverte, vers l'azur
S'élance mon navire génois. »
Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir,
"Chansons du Prince Vogelfrei"
L'homme affranchi règne au-delà de ce qui est attendu. Il ne connaît pas l'avenir, mais il se laisse porter vers l'avant par une nécessité qu'il fait sienne. En partant ainsi à la rencontre de ce qui advient, il veut être éloigné des berges, c'est-à-dire de toutes les habitudes qui posent des limites à l'action téméraire.
Prendre la mer, au risque de se perdre dans le flux chaotique. Il faudra inventer des gestes pour résister à la noyade et rejoindre le rivage, afin de se jeter une fois encore.; une épreuve nouvelle —.car les eaux ne seront jamais les mêmes.
Nous répétons les usages stériles de nous-mêmes dans le confort d'attentes satisfaites. À cette inertie de tous et de chacun, l'enfant de la métamorphose nietzschéenne oppose, dès son mouvement constitutif, la disponibilité à ce qui ne s'est pas présenté et l'aptitude à s'approprier ce qui se présente. L'enfant indique la direction la plus exigeante —.celle de la conquête, car nous quitterons notre place pour un espace de jeu encore impratiqué, dont nous ferons nôtres ses règles précaires. Vers l'horizon sans certitudes, l'abandon des illusions qui nous maintiennent est le premier pas, toujours vertigineux, mais aussi la tension du fil propre à nous soutenir quand notre façon d'être devient créatrice.
Dès lors que nous la concevons adéquatement, nous aimons la puissance dont tout procède et que nous exprimons d'une manière singulière. Vers ce salut spinozien, la connaissance des mécanismes affectifs est le remède à notre servitude. Nous progressons ainsi dans une dynamique nourrie de la joie à considérer ce que nous sommes.
Il nous est difficile de renoncer au fantasme d'une position idéale d'où nous verrions absolument. Pourtant, dans le déplacement du regard qui nous ramène à nos façons de procéder, nous ne perdrons rien d'autre que la chimère métaphysique. Là est sans doute l'enjeu de la thérapie wittgensteinienne.: parvenir à nous faire comprendre qu'en cessant de croire à des fondements qui ne seraient pas immanents à nos pratiques, nos valeurs et notre savoir ne s'effondrent pas et nous pouvons donc aller de l'avant. Débarrassés des images trompeuses, nous verrons les jeux sociaux dans les conditions effectives de notre participation. C'est là, en cet enchevêtrement où nos besoins sont satisfaits, qu'une situation est telle qu'un acte est celui qui convient.